A l’occasion de la célébration de la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse, le 3 mai 2018, Journaliste en danger (JED) a constaté une légère décrispation du climat de travail des journalistes en RD Congo.
Depuis le début de cette année, JED a enregistrée 44 cas d’atteintes diverses à la liberté de la presse, tandis qu’à la même période, en 2017, l’Organisation avait documentée 66 cas, soit une diminution d’au moins 22 cas. Sur le plan des statistiques, cela représente une amélioration d’au moins 30%. Pendant cette célébration, il n’y avait aucun journaliste en prison sur l’ensemble du pays. L’année dernière, à la même date, on en avait un en prison.
Lors de la célébration organisée à cet effet, en présence du Ministre de la Communication et des Médias, JED a demandé l’accélération du processus des réformes des lois pour renforcer la protection des journalistes.
Ci-dessous l’intégralité de l’allocution du Secrétaire général de JED :

Mesdames, Messieurs
Distingués invités
Très chers amis et confrères

Je voudrais commencer mon propos par une bonne nouvelle, et ensuite, par une très mauvaise nouvelle.

La bonne nouvelle, c’est que, au moment où nous sommes en train de célébrer cette journée mondiale de la liberté de la presse, il n’ y a aucun journaliste en prison sur l’ensemble du pays. Ce qui est un exploit qu’on n’avait pas connu depuis longtemps. L’année dernière, à la même date, on en avait un en prison. De même, depuis le début de cette année, nous avons enregistré 44 cas d’atteintes diverses à la liberté de la presse, tandis qu’à la même période, en 2017, nous étions à 66 cas, c-à-d 22 cas en moins. Sur le plan des statistiques, cela représente une amélioration d’au moins 30%.

Mais la mauvaise nouvelle, c’est que, au dernier classement mondiale de la liberté de la presse publié par RSF, il ya quelques jours, la RDC occupe toujours la 154è place sur 180 pays du monde considéré comme des pays prédateurs de la liberté de la presse.

Pour d’aucuns, cette position de la RDC au classement mondial, peut paraitre comme paradoxale au moment on observe une sorte de détente dans le climat général de travail des journalistes.

C’est dire, que la situation de la liberté de la presse dans notre pays présente un tableau bien contrasté et ne s’évalue pas seulement à l’aune du nombre de journalistes emprisonnés, et moins encore par le nombre des titres des journaux qui sont déversés chaque matin sur le marché ou pire encore, par le degré de libertinage que l’on peut déplorer dans le chef de certains journalistes.

En vérité, l’explosion médiatique que nous observons depuis plusieurs années en République démocratique du Congo, et dont on pourrait se plaindre ou se féliciter ; de même que la liberté de ton et de l’écriture dont usent et même abusent certains journalistes, ne peuvent occulter les grands maux qui minent cette profession, et qui du coup jettent comme une ombre sur le tableau de la liberté de la presse dans ce pays.

Au-delà des chiffres et des statistiques qui indiquent la récurrence des attaques contre les médias auxquelles s’ajoutent la fréquence des coupures internet, et qui révèlent des nouvelles formes de censure, on peut épingler parmi ces maux, notamment :

l’impunité dont jouissent des personnes identifiables, civiles ou militaires, qui s’en prennent aux médias ou entravent le travail des journalistes ;
les difficultés d’accès aux sources d’informations, surtout officielles ;
des dérives éthiques et déontologiques parfois flagrantes qui jettent un doute sur le professionnalisme de certains journalistes et la crédibilité de certains médias ;
le recours à une législation répressive pour faire taire des journalistes qui écrivent sur des sujets qui fâchent tels que la corruption, la mauvaise gestion et les violations des droits de l’homme

Cette liste des maux et des difficultés à exercer le métier de journaliste en RDC n’est évidemment pas limitative.

Tous ces facteurs énumérés ci haut, pris séparément ou ensemble, justifient sans doute la mauvaise image que reflète notre pays sur le plan des droits de l’homme en général et de la liberté de presse et d’expression en particulier.

En effet, Comment parler de liberté de la presser quand l’accès aux sources d’informations surtout officielles, constitue une gageur pour les journalistes ?

Comment parler de liberté de la presse lorsque 80 % des cas de violence physique ou morale que subissent les journalistes sont le fait des services de sécurité : la police, l’armée et les services de renseignement ?

Comment parler de liberté de la presse quand nos journaux, par leurs fables tirages et par leur coût élevé restent des médias des principales villes et des riches alors que la majorité de nos populations vivent en milieux ruraux et ne peuvent accéder aux produits de la presse en raison de leur faible pouvoir d’achat ?

Comment parler de liberté de la presse quand les journalistes eux-mêmes donnent prétexte à leurs bourreaux en ne respectant pas les règles élémentaires d’éthique et de déontologie de leur profession ?

Est-ce la liberté de la presse quand les journalistes deviennent des politiciens et des propagandistes de certains discours incendiaires ?

Est-ce que des journalistes sous payés ou pas du tout payés par leurs employeurs, peuvent-ils être libres et indépendants quant on sait qu’il n’ y a pas de liberté de la presse avec des journalistes pauvres et corrompus, pour reprendre cette belle devise de la Fédération Internationales des journalistes (FIJ) ?

Une presse pauvre ne peut être ni libre ni indépendante, même si des apparences trompeuses voudraient le faire croire. Elle peut s’affranchir de l’argent politique, elle ne saurait s’affranchir des autres pouvoirs d’argent…

En République démocratique du Congo, si l’on peut se féliciter des garanties constitutionnelles données à la liberté de la presse, et de l’existence d’une Loi particulière qui détermine les modalités de l’exercice de la liberté de la presse, force est cependant de constater que les professionnels des médias de la RDC font encore face à des difficultés de tous ordres dans l’exercice de leur profession.

Au moment où cette journée internationale de la presse est placée sous le thème de : « Médias-Justice Etat de droit : les contre poids du pouvoir », JED considère que la liberté de la presse proclamée, restera sans effets tant qu’elle n’est pas assortie des garanties d’ordre politique, professionnelles, matériels et financiers, judiciaires qui rendent son exercice effectif par le journaliste.

Alors que la RDC s’engage dans un tournant décisif qui doit conduire ce pays à l’organisation d’un cycle crucial des élections, toutes porteuses d’un grand potentiel des risques pour les journalistes et pour les médias appelés à couvrir les campagnes électorales, le moment est venu, nous semble-t-il, d’engager des réformes nécessaires et urgentes du cadre légal de l’exercice de la liberté de la presse afin, d’une part de renforcer la protection et la sécurité des journalistes dans l’exercice de leur métier, et d’autre part, de permettre aux médias, d’accéder aux sources et d’informer correctement le public qui est le souverain primaire.

la Loi d’accès à l’information tant attendue, et que nous appelons de tous nos vœux, sera le gage de transparence qui permettra, notamment, aux médias et aux autres acteurs engagés dans les compétitions électorales, d’accéder aux sources des données, et de lever les soupçons et les suspicions, qui empoisonnent l’atmosphère politique actuellement.

Ainsi donc, comme le suggère l’Unesco, « Pour devenir une réalité, la liberté d’expression a besoin d’un environnement juridique et réglementaire propice à l’essor d’un secteur des médias pluraliste et ouvert. Ce secteur doit être soutenu par le pouvoir politique et protégé par un État de droit. Il faut que la loi garantisse l’accès à l’information, notamment dans le domaine public. Enfin, les consommateurs de l’information doivent disposer des compétences nécessaires pour analyser de manière critique l’information qu’ils reçoivent et en faire la synthèse afin de s’en servir dans leur vie quotidienne et de responsabiliser les médias ».

S’agissant particulièrement de la République démocratique du Congo, et au moment où tout le monde embouche la trompette des « élections libres et transparentes et apaisées », il convient plus que jamais de souligner le rôle important des médias qui permettent, par leur couverture des campagnes politiques et autres événements électoraux, aux citoyens de disposer des éléments déterminants pour l’appréciation des programmes des candidats, favorisant ainsi leurs choix définitifs.
Et c’est l’action des mêmes médias, agissant comme « chiens de garde » qui permet de mettre en lumière des initiatives frauduleuses ou douteuses. Ce rôle de chien de garde est d’une grande importance capitale, car c’est par lui et grâce à lui que le processus électoral gagnera en transparence.
Malheureusement, force est de constater , que pour avoir fait leur travail en dénonçant la corruption, des détournements massifs et une gestion au petit bonheur des certains au détriment du plus grand nombre, des journalistes congolais ont été arrêtés, souvent battus et emprisonnés, sous des motifs fallacieux de diffamation ou imputations dommageables ?

Tous nos rapports sont truffés à ce sujet, des cas et des récits qui prouvent, si besoin en est encore, que des journalistes qui enquêtent sur des affaires de corruption et de détournement deviennent des cibles, et subissent des sévères représailles et des menaces des fonctionnaires corrompus, grâce à leurs relations dans la magistrature, la police ou les services de sécurité.

Il est important dès lors que notre gouvernement qui prétend engager le pays sur la voie la bonne gouvernance prenne une position ferme contre la corruption et protège à la fois ceux qui dénoncent les cas de corruption dans le gouvernement et les médias qui en informent le public.

Notre Organisation qui croit en la capacité des medias à jouer leur rôle de quatrième pouvoir dans une démocratie, est convaincu que « c’est seulement quand les journalistes sont libres de surveiller, enquêter et critiquer les politiques et les actions de l’administration publique que la bonne gouvernance peut prendre racine

En effet, à quoi cela aurait-il servi d’instituer la liberté de la presse, du reste garantie par la Constitution, et d’autres instruments internationaux de droit, si le journaliste après avoir fait son travail d’information en dénonçant les maux qui ronge son pays tels que la corruption et la concussion, les détournements des fonds publics, les violations des droits de l’homme, les abus de pouvoir et des biens sociaux, à quoi cela sert-il donc si après avoir fait ce travail de « chien de garde de la société », le journaliste peut être tué ou se retrouver en prison au nom de l’impunité ambiante, et d’une Loi scélérate sur la diffamation ou l’imputation dommageable qui fait fi de la véracité ou de la fausseté des faits dénoncés ?

Et que peut le journaliste face à un magistrat qui, pour survivre ou conserver son poste, se fait dicter la décision à prendre par des politiques ou ceux qui ont l’argent ?

C’est le chef de l’Etat, le Président Joseph Kabila, lui-même, qui disait il y a bien longtemps, dans son discours d’investiture, et je le cite : « L’appareil judiciaire congolais doit effectivement être réhabilité dans son rôle de dire le droit en toute indépendance. La justice doit lutter contre la puissance d’argent, des tribus, des familles, d’amitiés qui paralysent et asservit le magistrat et l’éloigne de son devoir », fin de citation.

Je vous remercie.

Tshivis Tshivuadi

Catégories : A la une

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